Des ruses et vicissitudes du goût humain des choses

Petite chronique du temps perdu dans « L’échelle des sens » de Franck Ruzé.


Un goût que j’ai gardé, de ce cinéma, probablement mieux accompagnée que ce que j’avais alors imaginé.

Peut-être qu’à force de s’installer dans un nid de regrets on finit par y voir un certain confort et peut-être aussi qu’à force de détruire des choses on finit par être expert dans leur reconstruction.

L’idéal de l’hymen complaisant, celui qui ne se déchire pas, un mythe ou une terrible réalité, à l’image des femmes fontaines, le désir du désir, le besoin du désir, de son partage à sa négociation, Franck Ruzé est un auteur sublime qui parle de l’intime des femmes comme probablement aucun homme n’en parlera jamais, son roman « L’échelle des sens », est une ode à la naissance du plaisir à l’intérieur d’une femme trop complexe pour évoluer simplement en évitant les fractures.

J’ai pensé à Anaïs Nin au départ de cette lecture, une écriture intensément érotique et fragile, sensible et tellement vivante en même temps, une écriture qui parle de l’infécondité du plaisir et de ses impasses, de l’amour qu’on n’éprouve jamais pour soi et qu’on recherche dans celui des autres.

Qu’on ne trouve pas.

Quand Anaïs Nin écrit « Henry et June », elle fantasme ses propres relations sur celle d’Henry Miller et de son épouse mais que fait Franck Ruzé, il part avec une balle dans le pied en ayant un pénis.

Et bien il faut croire que l’auteur est un acteur sublime aussi, il s’est glissé dans la peau et dans la chair d’une femme, de son âme toute entière et a rendu surannés tous les clichés qu’on peut avoir sur l’image que peuvent donner les femmes aux hommes.

Quelle étonnante échelle que celle de ce monsieur de l’écriture sensuelle et de la quête féminine.

Quels soupirs heureux de soulagement j’ai pu exprimer moi-même en lisant au bout d’une telle histoire : « Je devrais me détester, mais non, je ne comprends plus rien. Je vais bien. »

On relie tous ce qu’on lit et ce qu’on voit à ce qu’on vit et cette épreuve majeure de la comparaison passe par un transfert pénible et douloureux sur le protagoniste. Le protagoniste accompagne ici, de façon irréversible l’auteur et son sexe et l’oubli de ce dernier pour ne plus partager que ce qu’il reste d’une femme en lui, il fait alors de ce récit une merveille à découvrir absolument.

Une ascension vertigineusement froide, ce récit donne des ailes dans le dos de celui ou celle qui le lit, Franck Ruzé est d’un autre genre, du troisième type, de celui qui se glisse et s’extrait, qui s’immisce et se régale à effleurer la connaissance du vide féminin et de ses folies.

Monsieur Franck Ruzé, vous courez, vous volez, vous faiblissez et vous vous reprenez, vous plongez et vous vous trompez mais vous avez raisons parce que vous aimez.

Bien plus précieux qu’un texte à la mode, ce texte est biblique, il est gorgé de désir d’apprendre le ciel et ce qui y reste, tout ce qui ne nous tue pas et qui nous grandit, la jouissance et l’amertume de la vie qui naît dans un fluide, ponctué de respirations retentissantes mêlées de débris de verre de couleurs qui font saigner le samouraï.

Votre plume est d’or, monsieur Franck Ruzé, elle est une épée qui peut s’éteindre et faire place à une sainte surface absente et aérée, épousant la forme d’un brasier d’où sort une confusion des genres et des sentiments telle une symphonie de bagatelles de Silvestrov et Rachmaninov confondues.


. « L’échelle des sens » a été édité en 2013 par Albin Michel.
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. Entretiens avec l'auteur à la sortie du livre : ici, ici et ici.
Wikipédia de l'auteur.